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Guinée : « S’ils veulent me tuer, qu’ils me tuent. » L’écrivain Tierno Monénembo dénonce une « mascarade de référendum » et hausse le ton contre le général Mamadi Doumbouya

15 septembre 2025
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Guinée : « S’ils veulent me tuer, qu’ils me tuent. » L’écrivain Tierno Monénembo dénonce une « mascarade de référendum » et hausse le ton contre le général Mamadi Doumbouya

À quelques jours du référendum constitutionnel prévu en Guinée, l’écrivain Tierno Monénembo dans une interview hausse le ton contre le général Mamadi Doumbouya. À 78 ans, le prix Renaudot 2008 refuse de se taire malgré les menaces, les disparitions forcées et même le vol de son manuscrit.

Contexte : Le général Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir en septembre 2021 à la faveur d’un coup d’État contre le président Alpha Condé. Il avait alors promis une transition et un retour des civils au pouvoir. Quatre ans plus tard, il organise un référendum constitutionnel et laisse planer l’idée de se présenter lui-même à la prochaine élection présidentielle.

Une « mascarade » de référendum

Dans le jardin d’un bar de Conakry, Tierno Monénembo reçoit avec le sourire, mais ses mots claquent comme des coups de tonnerre. Le référendum du 21 septembre n’est rien d’autre qu’« une mascarade », affirme l'écrivain dans une interview vidéo relayée par l'Agence France Presse. L’auteur des « Crapauds-brousse » et du « Roi de Kahel » accuse le chef de la junte d’avoir pour seul objectif de prolonger son pouvoir. « Ce n’est pas un référendum, c’est une mascarade de référendum. Mamadi Doumbouya fait tout, comme on a l’habitude de le faire en Afrique, pour légitimer son putsch et accaparer le pouvoir aussi longtemps que possible. »

Crimes quotidiens et disparitions forcées

L’écrivain dénonce la répression qui s’abat sur la population. Selon lui, la Guinée vit au rythme des crimes et des disparitions.

« On a rarement vu autant de crimes, c’est presque quotidien. Toutes les manifestations sont sanctionnées par des dizaines de morts. Et il y a un phénomène qu’on ne connaissait pas en Guinée, que Mamadi Doumbouya nous a apporté, ce sont les disparitions forcées. Même au temps de Sékou Touré, quand on arrêtait quelqu’un, on savait où il était. Mais cette fois-ci, on ne sait même pas où sont les gens, et si les gens vivent encore ou pas. »

Le silence de la France

Face à ces violences, Monénembo regrette aussi le mutisme de la communauté internationale, notamment de Paris. « La France est le pays des droits de l’Homme, elle est très silencieuse sur les dérives dictatoriales qui s’opèrent aujourd’hui en Afrique, notamment en Guinée. Elle est très silencieuse, pour ne pas dire complice. Mais la démocratie, pour moi, c’est la pente naturelle de l’Histoire. On va vers la démocratie. Tous les peuples du monde sont contraints… On n’a jamais vu un peuple revendiquer la dictature. »

Un écrivain façonné par l’exil

Tierno Monénembo a fui la dictature d’Ahmed Sékou Touré en 1969, un choix qu’il regrette aujourd’hui. « Je regrette énormément d’avoir fui la dictature de Sékou Touré. Il ne fallait pas fuir. Si les élites guinéennes étaient restées en Guinée, on aurait contraint la dictature à s’assouplir, ou même à partir, à laisser se faire le processus démocratique. J’ai décidé de ne plus jamais fuir une dictature. Je vais rester ici, je vais dire ce que j’ai envie de dire. S’ils veulent me tuer, qu’ils me tuent. »

Son exil, qui l’a mené au Sénégal, en France et en Côte d’Ivoire, a façonné son œuvre. Étudiant en biochimie en France dans les années 70, il écrit son premier roman pour « abattre » le régime de Sékou Touré. Depuis, il a publié plus d’une dizaine d’ouvrages, parmi lesquels Les Écailles du ciel, Peuls ou encore Le Roi de Kahel, couronné par le prix Renaudot en 2008.

Alors que le pays vit au rythme des nouvelles de disparitions forcées, l’écrivain défie les autorités :

« S’ils veulent me tuer, qu’ils me tuent. » Et d’ajouter, implacable : « Mourir pour ses idées, c’est une très belle mort pour un écrivain. »

Le manuscrit volé

À cette lutte politique s’ajoute une blessure personnelle : le vol de son ordinateur, en mai 2024, contenant le manuscrit sur lequel il travaillait depuis trois ans. « Je pense que ce sont les plus grands voleurs de ce pays qui ont pris mon ordinateur. On a proposé jusqu’à 5000 euros de récompense à quiconque le ramènerait, un petit voleur de quartier. Cet ordinateur ne coûtait même pas 300 euros. (…) C’est injuste de perdre un manuscrit. Mais pourquoi ? Prenez-moi autre chose. Foutez-moi en prison, tuez-moi. Mais pourquoi me voler mon manuscrit ? »

Malgré cette perte, Tierno Monénembo continue d’écrire. Mais il sait qu’il ne pourra pas reproduire le texte disparu : « On ne peut pas réécrire un roman. On ne plonge pas deux fois dans la même rivière. C’est pas possible. C’est un autre roman qui va venir, sur le même sujet bien sûr. »

Mourir pour ses idées

Déterminé à rester en Guinée malgré les menaces, l’écrivain défie le régime : « On ne peut pas avoir peur de la mort, elle est inéluctable. Et puis mourir pour ses idées est une très belle mort pour un écrivain. »

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